mercredi 20 avril 2022

Michel Bossy (1957-2022)

Lettre à un jeune, moi-même.

Cher Mike Bossy de 14 ans,

Je t'écris aujourd'hui dans la peau d'un soixantenaire et j'ai des nouvelles de toi, du futur, que tu ne croiras tout simplement pas.

Il y a désormais plus de 30 équipes dans la LNH, il y en a même une, à Las Vegas et une autre, à Seattle.

Les gars ne fument plus de cigarettes et ne boivent plus de café noir entre les périodes. Ils boivent des smoothies et s'étirent. 

Leur rythme est de marquer autour de 50 buts par saison et de gagner autour de 9 millions par année. 

Se battre est enfin devenu un art qui se meurt. 


Je sais que cette dernière affirmation te plait tout particulièrement. Tu t'apprêtes à vivre ta large part de violence extrême. Si je t'écris c'est parce que tu passeras par le plus difficile des défis, jusqu'ici. J'espère que t'as bien apprécié ton si joli nez des 14 dernières années, bientôt, il ne sera plus aussi droit. Les responsables d'une équipe junior de Laval sont sur le point de t'offrir, toi et ta famille, une nouvelle maison, pour te voir jouer pour eux. Tout semblera parfait, du moins, au début. Jusqu'à maintenant, tes parents ont élevé 10 enfants dans un 4 1/2 de Montréal. Tu n'as jamais eu de chambre à coucher, à toi. Tu dormais dans une sorte de petit lit au bout du corridor, derrière un rideau. Quand tu penses au hockey, tu ne visualises pas les Canadiens de Montréal dans leur gilet bleu-blanc-rouge, tu ENTENDS les Canadiens de Montréal. C'est parce que ton père t'envoies au lit tout juste avant Hockey Night In Canada. Il ferme le rideau. Mais le corridor est tout juste là. À côté du salon. Tu restes éveillé. Tu entends tout le match. Tu n'as pas beaucoup de souvenirs d'avoir vu jouer Jean Béliveau, mais tu te rappelles le timbre de voix qui change de Danny Gallivan, quand Béliveau touche à la rondelle. 


Quand tu arrives finalement à Laval, tu as enfin ta propre chambre. Mais les 4 prochaines années de ta vie seront difficiles. Quand tu arriveras, tu seras considérer comme un marqueur de but naturel. Il n'y a aucun secret là-dessus. Tu ne le comprends pas et tu ne sauras jamais l'expliquer. Ça t'agaceras toujours quand on te dira "Mike, pourquoi c'était aussi naturel pour toi de marquer des buts ?".


Ce n'étais jamais facile. Ta mère adorait raconter la fois où tu avait marqué 21 buts à ton premier match, enfant. Mais même si cette histoire est vraie, les buts ne racontaient qu'une partie de l'histoire. Parce que ta mère ne raconte pas que tu passais tout ton temps à lancer des rondelles, tout seul, dans la cour arrière, sur la patinoire, sur un morceau de bois. Tu n'as pas de vrai but, alors tu lances toujours sur les mêmes petites marques noires jusqu'à ce que tes pieds gèlent. Tu ne marquent pas, tu vises. Rapelles-toi que ta mère te "réchauffait" les pieds dans
l'eau glacée, parce que l'eau chaude t'aurait fait perdre apparemment tes orteils. 


Pour peu importe la raison, on te méprisera d'être un marqueur de buts. Les autres équipes te cibleront, solide. Tu te feras attaquer par derrière, donné des coups de poings sans prévenir, par en arrière, ou par en dessous, on va te faire fermer tes lumières en t'assommant de sévères mises en échec frôlant la légalité. Dans le futur, il y a cette chose dont tu n'as jamais entendu parler, peu en ont entendu parler, en fait, qui s'appelle commotion cérébrale, tu apprendras, dans le futur à savoir c'est quoi, en le collectionnant. 


Certains soirs, tu seras assis sur le banc, simplement pour reprendre ton souffle et tu te retourneras pour voir littéralement le club entier de l'autre côté, foncer vers ton banc pour se battre avec le tien. Des coups de bâtons de toute sorte tu les auras tous. De toutes les forces. Ça deviendra si commun qu'on en parlera même plus. Ça fera partie du jeu. Ce sera une réalité du hockey junior des années 70. 

Les abus physiques te marqueront à jamais. Ton nez sera brisé. Tes côtes aussi. Ça marquera aussi ton âme. Prendre l'autobus en équipe et foncer vers la violence appréhendée sera toujours difficile pour toi. Très souvent tu te demanderas "pourquoi je fais ça, au juste ? quel en est l'objectif ?". 


Mais tu te dois de continuer pour deux raisons:

Si tu quittes tu vas laisser tomber le record qui tu es train d'établir dans le hockey Junior de marquer en moyenne plus de 2 buts par matchs pendant 4 ans. Et surtout si tu lâche l'univers du hockey, tu ne fréquenteras plus aussi souvent la fille au snack bar de l'aréna. 


La fille qui y travaille tous les matins à l'aréna est fort jolie n'est-ce pas ? Je connais tes trucs petit-cul. T'es trop timide pour faire quoi ce soit. Tu ne lui parles même pas. Tu te contente de lui acheter une tablette de chocolat tous les matins, avant les pratiques. 

Éventuellement, tu trouveras le courage de lui faire la conversation. tu apprendras son nom, Lucie. Son frère est entraineur du club Midget. C'est un dur, t'as intérêt à être un gentleman avec elle. 

Il s'agit de la fille qui sera à tes côtés pour le restant de tes jours. Elle est une immense fan de hockey. Et personne, même pas toi-même ne sera plus exigeant au niveau hockey qu'elle-même, à propos de tes performances. En 1977, dans 6 ans, tu auras une chance inouïe. 12 équipes de la LNH passeront par dessus toi au moment choisir un espoir junior. Il ne voudront rien savoir de toi. Ils te trouveront trop timide. Ils te trouveront trop "mou" pour affronter le violence de la LNH. Ils ne penseront pas que tu peux marquer comme ça dans la LNH. C'est ce que tu te diras en tout cas, assis près de ton avocat, dans un hôtel, aux côtés du téléphone, attendant de savoir si un club de la LNH te repêche. 


Tu recevras finalement un appel d'un Bill Torrey, directeur gérant d'un club pas très vieux, qui te souhaite la bienvenue chez les Islanders de New York. Bill est en train de bâtir tranquillement un dynastie. Je dois te dire quelque chose tout de suite: Bill est une légende. 

Tu est timide et naïf, kid. Laisse ton agent négocier tes contrats. Puis-je changer le futur avec cette lettre ? Si je le peux, quand tu t'assoeiras avec Bill et qu'il te fera une offre de salaire ridiculement basse, laisse ton agent négocier la chose. Laisse le comparer ton contrat avec celui des recrues. C'est comme ça que ça fonctionne. N'accepte et ne signe rien, sans lui. Tu veux savoir ce que tu as fait ? (NE LE FAIS PAS).


Bill te diras que puisque tu n'es pas satisfait de ce que je t'offre, tu penses tu être heureux dans la LNH ? Tu lui répondras sans broncher que tu penses marquer 50 buts dès ma première saison. Il s'étouffera de rire. Tu n'es pas assuré d'avoir un poste dans le club, encore. Et les Islanders sont une équipe meilleure, année après année depuis leur entrée dans la LNH, en il y a 5 ans. 50 buts ? 50 buts ? on ne promets pas une telle chose quand on a pas joué un seul match dans la LNH. Surtout quand on est si gêné. Je ne sais pas d'oû c'est venu, mais c'est sorti de moi comme ça. J'en ferai donc, 53. 


Mais ne fait pas ça. Bien que ton contrat s'en sortira, je peux te garantir que ça n'aura rien à voir avec ton audacieuse prédiction. Tu sera le kid au camp d'entrainement qui a promis 50 buts au gérant. (il racontera ça souvent dans le futur, ajoutant de la crème à l'anecdote chaque fois). Ça finira par t'agacer. 

Ne te trompes pas, les Islanders t'ont choisi pour marquer des buts. Ce qui m'amène à mon prochain conseil: laisse ton entraineur faire son travail. Al Arbour ne veut pas te parler, kid. Aux deux-trois premières pratiques, il viendra te voir pour te demander ce que tu penses que tu devrais faire dans ta propre zone. 


"Es-ce que je dois coller la bande?"

"Quand la rondelle est derrière le but, suis-je au bon endroit?"

"Coach?...."

Il te dira simplement "Mike, t'es ici pour faire des buts"

"O.K..."

"Tu peux faire des buts pour nous?"

"Oui" 

"Alors ne fait plus jamais chier avec ta défensive, si ça m'inquiète, je viendrais te voir".

Tu ne lui parleras que 2 ou 3 fois pour le reste de la saison.


Al ne te parles par parce qu'il a un joueur du nom de Bryan Trottier qui guide le vestiaire pour lui. Bryan sera ton meilleur ami, au hockey. Je dois t'avertir, c'est un autochtone de l'Ouest Canadien avec une drôle de petite moustache. Et il a l'air d'absolument rien. Mais il est plus que bien. Il est un des meilleurs centres que tu pourrais trouver. Il travaille absolument tous les aspects de son jeu. Le hockey coule dans ses veines. Il est le joueur de hockey le plus complet. Tu développeras une telle chimie avec lui que le club aura de la difficulté à garder un constant ailier gauche pour vous accompagner. Celui-là se plaindra tout le temps que vous ne jouez qu'à deux. Ce qui est un peu vrai. Mais ça marche. À un certain moment, Bryan te dira, ne me cherche pas sur la glace, garde ton hockey par terre et soit prêt à lancer tout le temps. Si tu vois mon bâton, places-y la rondelle. Trots fera 46 buts à ta saison recrue, quand tu en feras 53. Mais il te rappelleras toujours qu'il t'a devancé dans les points. Dans vos 2 premières saisons, la chimie sera formidable mais ton club ne se rend pas à la Coupe Stanley.


En saison régulière tout va bien, mais en séries, ça devient plus agressif et vous n'avez pas ce qu'il faut. Tu te fais écorcher, frapper, battre à coups de bâton et on fait tout pour que tu laisses tomber tes gants. Tu prendras alors une décision très controversée pour l'époque, 1979, tu annonces que tu ne battras jamais plus. Que c'était complètement contre nature. Que tu trouves que c'est idiot et inutile. Que ce n'est pas du hockey.

Oh là là, les jours intéressants qui s'annoncent...


Tu dois être prêt pour tous les noms dont on t'affubleras. Mike Pussy étant le moins imaginatif. Parfois même, des commentateurs, fans et journalistes.  Certains pensent très sérieusement que dire une telle chose fait de ce joueur un athlète qui ne pourra jamais gagner. 

Alors, en 1980, au premier match de la finale de la Coupe Stanley, contre les Flyers, tu as ton moment de vérité. Ton équipe fait un dégagement accidentel en avantage numérique. Lors de l'arrêt de jeu, le gros Mel Bridgman fonce sur toi, comme un train fou. Tu choisis de le frapper avant qu'il ne te frappe. Le surprenant complètement. Tu veux marquer ton point contre la gratuite intimidation. Dans cette fraction de seconde, tu te diras c'est assez. Plus de cette boule malsaine dans le ventre. Cette collision qui fait tomber Bridgman sur son cul, au Spectrum de Philadelphie donne le ton aux 4 prochaines années de ta vie. Tu gagneras la Coupe Stanley en période supplémentaire, au 6ème match. Trois autres suivront, coups sur coups. 


Mon nouveau conseil serait tente de t'en rappeler davantage. C'est triste, mais te racontant ceci dans la soixantaine, je me rappelle assez peu de tout ceci, dans l'intensité des jours anciens. J'ignore si c'est en raison des mes commotions ou simplement parce que je vivais tant de choses intensément en même temps que je pouvais tout garder en moi. 

Mais je me rappelle Bryan avec la Coupe. Je me rappelle qu'il était devenu parfait singe après la première, faisant le tour de la patinoire en entier avec, se tenant avec la Coupe sur le banc, la pointant aux fans. Je le vois aussi sauter dans les bras de Billy Smith, à la 4ème de suite.


Rapelles-toi plus, kid. Chéris ses moments davantage car ta vie sera plus courte que prévue. 

Tu te rappelles quand tu t'étais dévissé le genou au saut en longueur aux olympiques scolaires de la petite école, que tu avais était quand même receveur de ton équipe de baseball avec un plâtre jusqu'aux hanches, la jambe sur le côté ? Ton genou ne guérira jamais complètement. Tu penseras que ce n'est pas tellement grave, mais en patinant dessus, toutes ses années, ça développera un déséquilibre physique qui rejoindra ton dos. Après seulement 9 ans, tu seras forcé d'abandonner la LNH. Quand ton dos t'abandonnes, lui aussi. À seulement 30 ans.


Tu ne sera pas en mesure d'écrire le reste de tom histoire comme tu le souhaitais. Ce sera une pillule très difficile à avaler. Mais ce sera une grande leçon pour toi, jeune homme. C'est ainsi que le vie fonctionne. Il y a des parties qu'on peut écrire nous mêmes et d'autres déjà écrites pour nous. 

Penses à ton père, entre autres. 


Quand a commencé ta route vers les 4 Coupes ? Avec cette collision contre Bridgman ? Avec la chimie travaillée avec Trottier ? Avec le coup de téléphone de Bill Torrey? Avec les 260 buts marqués à Laval ou les 21 au premier match ?

Non. Rien de ceci n'arrive sans le tout premier chapitre de ton histoire, écrit pour toi, dans le petit appartement de Montréal, à dormir dans le corridor, derrière les rideaux. Certains matins, quand tu te réveillais pour déjeuner, ton père arrivait de dehors, les cils glacés d'avoir arrosé la patinoire pendant des heures. Refixant le morceau de bois qui recevait tes rondelles. 


À des milliers de kilomètres, le père de Bryan faisait la même chose, dans l'Ouest canadien. Sur un petit lac. Près d'un barrage de castor. 

On écrit ni le début, ni la fin de son histoire. 

Mais on peut s'inspirer de La Soirée du Hockey dans ses rêves. 

On peut trouver la femme de sa vie derrière un comptoir de snack bar d'aréna.


On peut frapper des taureaux comme Mel Bridhman.

On peut remercier le ciel d'avoir été un Islander et d'avoir tant aimé ce petit autochtone moustachu de Bryan Trottier. 

On doit aussi cesser de fumer avant sa première saison recrue dans la LNH

Sincèrement, Mike


Légende de la LNH. 10 saisons. 9 de suite de 50 buts ou davantage. 7 saisons de plus de 100 pts. deux de plus de 90. Une saison de 69 buts, sa seconde dans la LNH. Une autres de 68, en 1980-1981. Une saison de 147 pts, en 1981-1982. 4 Coupes Stanley. Un trophée Conn Smythe. Aussi en 1982. Un trophée Calder remis à la recrue de l'année, en 1978. Trois trophées Lady Bing remis au joueur le plus gentilhomme. 573 buts, 553 mentions d'aide, 1126 pts. N'a jamais joué pour une formation qui n'aurait pas fait les séries éliminatoires. 160 pts en 129 matchs, dont 85 buts. Trois saisons consécutives de 17 buts en séries éliminatoires. 

Légendaire gentleman.  


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